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Vigiparents
Avertissement:
- si tu as commandé une Kalachnikov au Père Noël cette année,
- si tu ignores la signification et/ou l'utilité des "zygomatiques",
- si tu crois qu'on découvre Dieu à grands coups de pied au cul,
- si tu aimerais brûler le contenu de ce blog et son auteure avec,
ne poursuis pas ta lecture plus avant: tu ne vas pas aimer ce billet. Il est plus que probable que le Tout Puissant ait oublié de t'offrir les neurones nécessaires à sa compréhension.
Pour tous les autres: bienvenue dans mon modeste espace de libre échange, de partage bienveillant, de réflexions de tout poil (de barbe... ou de cul. Attention ça peut gratter!)
Je ne souhaite pas revenir sur l'atrocité de l'attentat commis Mercredi dans les locaux de Charlie Hebdo, ni vous parler de ma sidération, de l'onde de choc et des larmes incontrôlables qui ont suivi. Comme moi, vous avez assisté à l'inimaginable dans un pays où liberté de la presse et dessins satyriques sont une évidence nécessaire, du moins le croyait-on jusque là.
Ce dont je voulais absolument parler ici, après lecture de plusieurs dizaines d'articles en tout genre et en particulier un excellent papier de Claude Halmos dans Psychologies (voir ICI), c'est de nos enfants.
Ma première pensée a été pour eux. "Dans quel monde de fous vivons-nous? Quelle image de la liberté va-t-on leur transmettre? Qui aurait envie de devenir un adulte dans ce climat de violence gratuite et de haine débridée?"
Bien sûr, j'ai réagi de façon épidermique, mon cerveau émotionnel ayant une forte tendance à prendre le contrôle de façon despotique dans ce genre de situation. Mais comme j'en ai conscience, je lui ai rapidement demandé de la boucler un peu (je le lui ai suggéré poliment, j'aime me parler avec bienveillance) afin de laisser un peu de place et de liberté d'expression, de pensée donc, à mon cerveau analytique. Il m'a remerciée et s'y est attelé dare-dare, il y avait du boulot!
Ainsi, j'ai calmé mon agitation intérieure où bouillait un magma de sentiments et d'émotions mêlés (horreur, incrédulité, colère, accablement, tristesse...) pour établir un plan de bataille: comment en parler à mes enfants? Que leur dire? Ils ont vu l'étrangeté de la situation: je ne pleure que rarement derrière l'écran de mon PC, et quand ça m'arrive, j'en rigole en même temps avec eux car je suis une hyperémotive qui s'assume. Mais là, c'était grave et ils ont forcément senti la tension. Il me fallait mettre des mots dessus avant qu'ils ne soient submergés eux-mêmes par les informations qui ne tarderaient pas à jaillir de tous côtés.
J'ai utilisé des mots simples pour décrire la situation, attendant leurs commentaires et leurs questions. Ils n'ont tout d'abord pas semblé particulièrement atteints ou concernés, pensant à un fait divers de plus, étonnés de l'importance que je semblais donner à cette information. J'ai donc choisi d'attendre le lendemain, après une matinée passée dans leurs collège et lycée respectifs, pour revenir en profondeur sur le sujet.
Noé ( 11 ans), m'a d'abord demandé:
"Mais c'est qui, Charlie?". Parce que lui, il connaissait seulement le petit bonhomme au bonnet rouge planqué dans les planches de dessins...
Je lui ai expliqué que Charlie Hebdo c'était le nom d'un journal satyrique, qui existait depuis très longtemps. Que c'était là qu'avait eu lieu le massacre de journalistes au nom d'idées qui ne plaisaient pas à certains. Que "Je suis Charlie", utilisé massivement depuis signifiait que nous nous sentions tous atteints dans nos libertés fondamentales.
Puis il m'a confié qu'ils en avaient parlé en cours de technologie, puis que la directrice les avaient réunis dans la cour pour leur parler du plan Vigipirate qui venait de monter d'un cran et des conséquences immédiates: fermeture de 2 des 3 issues de l'établissement et entrée par un seul portail dorénavant. Ce discours (nécessaire) a eu une conséquence inévitable: montée d'adrénaline et sentiment d'insécurité de mon fils, qui s'est senti visé par un risque d'attentat. Le flip quoi, c'est un caractère anxieux de nature et son imagination s'est emballée. Il a demandé l'intérêt de cette mesure à sa prof de maths au cours suivant:
"C'est complètement débile, s'il y a des terroristes ils pourront passer quand même, ça ne sert à rien!" (cartésien le môme)
"On ne te demande pas de comprendre, on applique les directives de l'Académie". (!!!)
C'est à ce moment précis que j'ai haussé au maximum le niveau d'alerte de mon plan perso: "Vigiparents". (Et je suis fière de ce titre, trouvé aux alentours de 02h00 ce matin alors que j'ébauchais un brouillon mental de cet article, ayant définitivement abandonné l'espoir de trouver le répit dans un sommeil salvateur. Les lecteurs fidèles auront reconnu l'heure où ma créativité a la mauvaise idée d'être au top de ses performances)...
"Noé, tu as raison d'essayer de comprendre. Il n'y a aucune raison qu'il y ait un attentat chez nous, tu n'es pas plus en danger qu'hier. On met en place des mesures pour essayer d'augmenter votre sécurité, c'est pareil de partout en France dans un contexte d'attentats, dans les lieux publiques, les supermarchés etc".
"Ouais, on va tous finir parano!"
Silence. Je n'ai pas su quoi répondre, je lui ai juste dit qu'il avait raison et qu'il ne fallait pas s'affoler, ce type de peur est une construction mentale avant tout.
Puis Arthis (15 ans)est arrivé, tout de noir vêtu en signe de deuil. Il avait anticipé ma question en croisant mon regard le matin même: "C'est Antony qui m'a envoyé un message, on sera tous solidaires au lycée en hommage aux victimes d'hier".
Sans surprise, le sujet était sur toutes les langues et le proviseur a eu un long discours d'information (visiblement très bien) qui s'est conclu par une injonction: que chaque classe produise un support à sa guise (texte, dessin, vidéo...) pour témoigner de leur soutien aux victimes et de leur ressenti. J'ai trouvé l'idée formidable: les inciter à réfléchir, à prendre conscience des enjeux, à clarifier leurs émotions et à agir en conséquences.
"Qu'en penses-tu?"
"C'est une super idée, mais tu sais, je suis un des seuls à me sentir vraiment concerné, plein de copains trouvaient tout ce tralala inutile et barbant".
Je lui ai rappelé à quel point j'étais fière de son implication, que ce qu'on leur apprenait là c'était aussi important que les maths et la physique, qu'on devait avoir conscience du monde dans lequel on voulait vivre et défendre ses idées. Que la liberté de pensée et d'expression, ce n'était pas une broutille. Qu'il fallait s'éduquer, partager, construire ensemble le monde où il allait vivre en adulte responsable. Que la haine, la violence, l'obscurantisme sont des armes puissantes, mais la libre pensée bien plus encore.
Puis on a parlé du risque majeur d'amalgames dans l'esprit de beaucoup et des récupérations politiques d'un tel évènement, inévitables hélas.
On a redéfini tous ensemble et très clairement le sens des mots: intégrisme religieux, fanatisme, attentat, pensée unique. Puis musulmans, religion, Coran. Bien distinguer quelques fous furieux aux idées nauséabondes, et les millions de personnes normales qui n'ont rien à voir avec ça et qui seront les premières victimes collatérales... Mon mari et moi avons réaffirmé notre vision personnelle: l'importance de la laïcité comme base de la démocratie, parce que la religion est une affaire intime qui ne devrait jamais déborder sur l'espace commun.
Parce que pour bien penser, pour avoir les idées claires, il faut des mots porteurs de sens et ne pas tout mélanger.
Parce que notre rôle de parents, ce n'est pas d'embrigader nos enfants dans des modèles uniques mais bien de faire jaillir en eux la curiosité, la pensée critique, l'intelligence du cœur. Et vu le contexte, y'a du boulot.
Pour finir je leur ai rappelé que les assassins étaient actuellement traqués par la police, qu'ils seraient arrêtés et jugés, peut-être même abattus lors de leur interpellation. Qu'ils seraient punis en somme.
"Ben c'est bien fait pour eux. Mais c'est pas en prison qu'il faut les envoyer, c'est à l'hôpital psychiatrique!"
J'ai regardé Noé avec tendresse en souriant, parce qu'au fond il a tout compris: oublier à ce point notre humanité, c'est être vraiment malades.
Je crois que mes fils ont peu de chance de partir faire le djihad.
Ils aiment rire et ne s'en privent pas! Humour noir et second degré pour Noé, autodérision corrosive pour Arthis.
Ils aiment réfléchir et débattre, ils ne sont pas toujours d'accord mais ne se ratatinent pas la tronche pour autant.
Ils sont ouverts aux différences et respectent les autres dans leur diversité.
Ils vont pouvoir continuer à utiliser leurs cerveaux et leurs Rotrings.
Je ne suis pas prête d'abaisser le niveau d'alerte de mon plan Vigiparents!
A lire aussi ce bel article éclairant: ICI
Tags : attentat, Charlie Hebdo, Vigipirate, dialogue, enfants
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Commentaires
4bateau bleuVendredi 9 Janvier 2015 à 17:45belle éloquence flo ...
pourquoi ne rien avoir fait ? et ne rien faire contre les camps d'entrainement ? et pourquoi pouvoir trouver si facilement des armes lourdes ? c'est une question que je me pose aussi ... cela serai peux etre plus facile d'agir si nous n'étions pas exportateur d'armes ?
mais je m'écarte du sujet ... honte au prof de ton fils ..."si l 'école ne t'apprend pas ça alors je dit halte a tous" ...car tous les parents ne son pas apte a applique le plan vigiparents ...
3babouVendredi 9 Janvier 2015 à 15:01Je suis sidérée qu'un enseignant puisse dire à un enfant: " on ne te demande pas de comprendre"
On sait bien pourtant que l'ignorance est le terreau favori de la peur et que la peur est celui de la violence.
2babouVendredi 9 Janvier 2015 à 14:40Merci Flo pour ce bel article et bravo pour le titre "Vigiparents"!
Je pense qu'il mériterait une large diffusion.
Comme j'aimerais savoir que de nombreux parents se donnent le temps de réfléchir ainsi avec leurs enfants et de développer chez eux le goût de l'analyse et le sens critique. Leur apprennent à ne pas gober tout cru ce que produit le discours ambiant et à chercher à comprendre, sans jugement à priori et en gardant l'esprit ouvert.
J'espère que beaucoup te liront et transmettront...
Bises.
1NathouVendredi 9 Janvier 2015 à 14:00Flo...je pleure. J'ai mal à tout mon être de l'héritage laissé à nos enfants. Etre Humain, ce n'est pas ça. Les informations de ce midi sont terribles, indicibles. Multiplier les attaques, pour mieux diviser et ...TUER. Apprendre que tous ces faits sont liés, commandités par les islamistes du Yemen, me glace le sang, me transperce le cœur. Apprendre que ces personnes sont issus d'un même groupuscule, que leurs noms figuraient sur deux listes noires Américaines dont une les interdisant d'entrer par des vols aux USA et que ces listes ont été transmises depuis 2011 par le FBI à leurs homologues français me "terrorise" et que rien n'a été entrepris pour les stopper ou pire stopper ces actes d'apprentissages militaires d'une rare violence au Yemen .... pourquoi ma FLO. Nous avons beaucoup parlé aussi à la maison: je t'avoue que doucement moi aussi, je ...sombre. Bisous. Aimons nos trésors, rions ensemble; cela personne ne nous le prendra. ily.
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Merci pour vos commentaires, moi aussi je suis révoltée.
Je pourrais écrire sur notre sentiment d'impuissance face à l'explosion des actes et pensées fanatiques, sur l'immobilisme et la lâcheté politique et la position trouble dans la banalisation des armes et des violences de tout poil, sur le politiquement correct, sur mon sentiment que l'humanité - ou du moins une part - régresse de façon alarmante.
Regardez la façon dont les commanditaires se réjouissent de leur "exploit" (tu parles, quelle gloire!!) et attisent la haine et la vengeance. Regardez ces classes de collèges et lycées où des profs, plein de bonne volonté, sont débordés par les cro-magnons rétrogrades, lobotomisés par des discours haineux et limitant, en culotte courte que sont leurs élèves.
Que répondre à un gosse qui argue avec conviction: "chez moi, on ne rigole pas"?
MISERE! Il faudrait tout reprendre à zéro et c'est impossible.
Alors la seule issue à notre niveau de citoyen lambda, c'est l'appel à l'amour et à l'intelligence, du cœur et de l'esprit. C'est l'instruction, encore, toujours, arme de réflexion massive.
C'est Vigiparents tout le temps, pour ceux qui peuvent. Essayons d'être nombreux.